Georges Politzer

From ProleWiki, the proletarian encyclopedia
Revision as of 15:51, 3 November 2020 by Forte (talk | contribs) (Created page with "''(to translate and edit later)'' On l'a souvent dit : Georges Politzer, c'est avant tout le Rire. Le Rire de défi, non pas du rebelle, mais du révolutionnaire, non pas de...")
(diff) ← Older revision | Latest revision (diff) | Newer revision → (diff)

(to translate and edit later)

On l'a souvent dit : Georges Politzer, c'est avant tout le Rire. Le Rire de défi, non pas du rebelle, mais du révolutionnaire, non pas de l'anarchiste, mais du marxiste, qui se gausse des efforts du vieux monde pour échapper à la condamnation de l'histoire. Le Rire vainqueur jusque dans les chaînes, face à Pucheu et aux tortionnaires de la Gestapo, le Rire vainqueur face au peloton d'exécution...

Georges Politzer était né en 1903. Il avait vu le jour dans une petite ville du nord de la Hongrie,

Navyvarod ; mais, à 17 ans, il avait dû quitter ce pays tombé au pouvoir de la réaction, et qui

persécutait son père. Il avait opté pour la France, et par choix de l'intelligence et du cœur, il était

Français de la tête aux pieds. Nul n'a mieux parlé que lui des gloires de l'esprit français. Au foyer

paternel, c'est en lisant Voltaire et Diderot qu'il avait appris notre langue, et au Quartier Latin, il ne mit

que cinq ans pour conquérir tous ses titres, jusqu'à l'agrégation de philosophie.

Georges Politzer avait en lui l'étoffe d'un philosophe de génie, tout comme son ami et compagnon de

supplice Jacques Solomon était un spécialiste hors ligne de la physique théorique.

Politzer a certes évolué, depuis qu'en 1926 il se débattait encore avec une certaine forme de pensée

idéaliste. Il a lutté, il a progressé en suant d'ahan. Et au bout du chemin, c'est le marxisme qu'il a

rencontré.

Quand au début des années 30, l'Université ouvrière de Paris eut été fondée dans les vieux locaux de

l'avenue Mathurin-Moreau, elle eut un grand nombre de professeurs remarquables et même illustres,

mais aucun cours n'enthousiasmait les élèves, ouvriers, employés et intellectuels, autant que le cours

de Georges Politzer sur le matérialisme dialectique. Les problèmes les plus difficiles devenaient grâce

à lui clairs et simples, sans jamais perdre leur statut philosophique, leur dignité théorique, et une ironie

impitoyable mettait à nu l'inconsistance des points de vue des adversaires. Disciple de Marx et de

Lénine, Politzer était à la fois un polémiste redoutable et un penseur d'une culture et d'une compétence

inattaquables.

Aujourd'hui, le marxisme a conquis droit de cité à l'Université, Marx et Lénine sont au programme des

concours. De gros ouvrages universitaires sont consacrés à la philosophie soviétique. Mais il y a

quarante ans, il en allait tout autrement : Auguste Cornu faisait figure de pionnier, voire d'enfant

perdu, en soutenant en Sorbonne une thèse sur la formation des idées du jeune Marx. Les travaux et les

exposés philosophiques de Georges Politzer ont représenté en France, avec les recherches d'Auguste

Cornu, la première tentative importante d'éclairer les questions centrales de la philosophie à la lumière

du matérialisme dialectique.

Il est difficile de faire comprendre quel vent salubre balaya tout à coup les miasmes des marécages

académiques quand, en 1929, le philosophe à cheveux roux, semblable à quelque jeune dieu auréolé

d'un feu purificateur, lança tout à coup son brûlot contre la pensée idéaliste officielle : « La fin d'une

parade philosophique : le bergsonisme. » Jusqu'à la guerre, Politzer allait continuer la polémique

victorieuse contre tous les adversaires du marxisme, qui à ses yeux se confondait avec le rationalisme

moderne, et simultanément assumer avec éclat la défense des traditions progressistes de l'histoire

française de la philosophie, à commencer par la grande tradition de Descartes.

Politzer s'intéressait vivement aux problèmes de psychologie. On lui doit la tentative de créer une

psychologie nouvelle, qu'il nommait « concrète », par opposition à la psychologie idéaliste

traditionnelle. Au début, il subissait dans une certaine mesure l'influence de la méthode

psychanalytique de Freud, qui le séduisait par sa tendance à étudier l'homme vivant tout entier, et non

les fonctions psychologiques prises à part. Mais bientôt, dès 1928, il comprit ce qu'il y avait de

contestable dans le freudisme et il s'en sépara dans sa Critique des fondements de la psychologie.

L'effort de Politzer pour souligner la valeur sociale de la personnalité garantit la durée à son œuvre de

psychologue.

4Il avait enseigné au lycée de Cherbourg, puis à Evreux, enfin au lycée de Saint-Maur. En même temps,

il avait créé et il dirigeait — avec tant de passion que souvent il y passait toute la nuit — le Centre de

documentation du Parti communiste français. Il devient économiste. Ses chroniques de l'Humanité

sont lues par un public toujours plus vaste.

Le journalisme l'attire. Celui qui écrit ces lignes le sait bien, car il se rappelle avec quel joyeux

empressement, entre 1937 et 1939, Georges Politzer venait parfois le remplacer pour quelques jours au

poste de rédacteur en chef du quotidien communiste. Maurice Thorez se prend d'affection pour ce

militant exceptionnel.

Arrive la drôle de guerre. Mobilisé à Paris, à l'Ecole militaire, Politzer reste aux côtés de la direction

clandestine du Parti communiste. Le 6 juin 1940, c'est lui qui transmet à de Monzie, agissant au nom

du gouvernement, les propositions historiques du Parti communiste pour l'organisation de la défense

de Paris par l'appel au peuple.

Avec son admirable compagne, Maïe Politzer, qui devait disparaître dans l'horreur des camps nazis,

Politzer fut de 1940 à 1942 l'âme de la Résistance universitaire. C'est peu de dire qu'il montra toujours

un courage à toute épreuve : il faudrait parler de son étonnant sang-froid, de sa crânerie superbe.

Dès sa démobilisation en juillet 1940, Politzer prépare avec Jacques Solomon et Daniel Decour-

demanche l'édition d'un bulletin clandestin s'adressant aux membres de l'enseignement secondaire et

supérieur. Tout de suite après l'arrestation de Paul Langevin par la Gestapo au mois d'octobre sort le

n°1 de L'Université libre. Le journal relate l'emprisonnement de l'illustre physicien et les autres

exactions commises par l'envahisseur fasciste; il ajoute :

Au travers de tous ces événements, l'Université s'est ressaisie ; elle s'est forgée une unanimité de

pensée, de volonté, comme jamais dans son histoire pourtant glorieuse. Elle est unanime dans sa

volonté de continuer, envers et contre tous, la grande tradition de culture dans la liberté qui fut et

qui reste celle de l'Université française.

Désormais, L'Université libre ne cessera plus le combat contre l'ingérence de l'ennemi dans les affaires

de l'Université, contre les arrestations d'enseignants israélites et d'étudiants, contre la modification

rétrograde des programmes, contre la prétendue « révolution nationale » qui n'est qu'une entreprise de

réaction au service de l'impérialisme nazi. Le journal anime sans crainte la résistance à l'ennemi dans

les lycées et dans l'enseignement supérieur. La collection de L'Université libre en 1940-1941 est le

plus éclatant témoignage de la participation des communistes au combat libérateur dès les débuts de

l'occupation. Il sort exactement huit numéros du journal avant janvier 1941, vingt numéros avant juin.

Quand l'agression hitlérienne contre l'Union soviétique se produit, le n° 22 de L'Université libre, datée

du 1 er juillet 1941, sous le titre « Le tombeau de Hitler », annonce la victoire certaine de « l'armée unie

d'un peuple uni », de « l'armée nouvelle d'une société nouvelle ».

Dès mars 1941 a circulé dans les milieux patriotes un pamphlet antinazi d'une vigueur et d'un mordant

exceptionnels. Il se présentait sans nom d'auteur, mais le style en était reconnu de tout le monde.

Chacun savait que Révolution et contre-révolution au XX e siècle était l'œuvre de Politzer. La brochure,

imprimée en janvier-février, avait quarante-cinq pages. C'était une éclatante réplique au discours que

le Reichsleiter Rosenberg avait prononcé à la Chambre des députés, à la fin de novembre 1940, pour

un « règlement de comptes avec les idées de 1789 » et qui avait paru sous le titre : Sang et or, ou l'Or

vaincu par le sang.

Politzer y démontrait que la démocratie n'était pas morte, qu'elle n'avait pas été enterrée par les

victoires de Hitler. Il précisait que le caractère étriqué et la corruption de la démocratie bourgeoise

sont imputables au capitalisme, tandis que le renversement du capitalisme et la réalisation du

socialisme permettent la démocratie véritable :

A la vérité, écrivait-il, il n'y a pas de puissance au monde qui puisse faire oublier la science et la

raison, sauvegardées et protégées par l'Union soviétique, qui crée la civilisation exempte de

barbarie, la civilisation socialiste.

5Lorsque dans un manifeste du 15 mai 1941, le Comité central du Parti communiste français eut appelé

à la formation d'un large Front national pour la liberté et l'indépendance de la France, Politzer, ainsi

que J. Solomon et D. Decourdemanche, redoubla d'efforts pour obtenir l'adhésion des patriotes non

communistes appartenant à l'élite du monde intellectuel.

En février 1942, Politzer était arrêté, dans le gigantesque coup de filet qui, de janvier à mars, coûta la

liberté à environ cent quarante patriotes communistes.

Pas un mot ne sortit de sa bouche, au milieu des supplices. Sa femme a raconté dans une lettre :

A plusieurs reprises, les officiers de la Gestapo lui ont demandé d'accepter de travailler à réformer

la jeunesse française, lui promettant notre libération immédiate et une vie large et heureuse pour

toute notre famille... Ils lui ont donné huit jours pour réfléchir. Puis, un jour, il a été appelé et,

ayant maintenu sa position, on lui a répondu qu'il serait fusillé dans les jours qui suivraient...

Avant d'être fusillé, il a pu passer vingt minutes dans ma cellule. Il était sublime. Jamais son

visage n'avait été aussi lumineux. Un calme rayonnant se dégageait de lui et toute son attitude était

impressionnante, même pour ses bourreaux. Il m'a dit tout son bonheur de mourir pour son Parti et

pour la France. Il était particulièrement heureux de mourir sur le sol français. Vous savez combien

cela comptait pour lui.

Ce ne fut pas la moindre infamie de la IVe République que le refus obstiné opposé en 1954-1955 par

les ministres successifs des Anciens Combattants à la demande d'attribution posthume du titre

d'interné résistant à Georges Politzer. Le premier de ces ministres, aujourd'hui bien oublié, était un

réactionnaire, André Mutter, membre du gouvernement Laniel, le second, un gaulliste sans éclat,

s'appelait Raymond Triboulet, et il était couvert par un président du Conseil du nom d'Edgar Faure. Il

fallut en 1956 un jugement du tribunal administratif, rendu après les plaidoiries de M e Bruguier et de

M e de Moro-Giafferi, pour réparer la conduite misérable de ces hommes de néant.

Peu importent ces mesquineries au souvenir de Georges Politzer. Son exemple a inspiré et inspirera

des générations d'intellectuels.

Politzer occupait une position universitaire solide, et qui serait facilement devenue brillante; sa valeur

était hautement reconnue par les spécialistes. Mais en même temps, c'était un intellectuel d'un type

nouveau, lié corps et âme à la classe ouvrière et à ses luttes, se sentant responsable devant le Parti à un

égal degré pour les tâches pratiques qui s'imposent quotidiennement à tout militant et pour les œuvres

élevées qui sont de l'ordre de la pensée.

Par toute leur activité dans les Maisons de la culture, au Groupe d'études matérialistes de Paul

Langevin, à l'Université ouvrière, et par la plume comme sous la forme orale, Politzer et Solomon ont

montré comment faire connaître le marxisme aux intellectuels, aux savants, aux étudiants. Aux

vacances de 1938, entre deux courses de haute montagne, dans un chalet au pied du glacier des

Bossons, ils amorçaient une traduction de la Dialectique de la nature. Les hautes questions

philosophiques ne s'effaçaient jamais de leur horizon. Ils étaient convaincus que le sort de leur Parti

était intrinsèquement lié à celui de la vérité elle-même.

Dans la pratique, cette conviction se traduisait notamment par le souci constant de vivre avec le Parti,

avec les membres du Parti. La conduite de nos deux amis était diamétralement opposée à l'attitude

prétentieuse des intellectuels qui s'érigent en donneurs de leçons, en mentors des masses, alors qu'en

réalité ils obéissent aux influences bourgeoises. Politzer a dit :

L'indépendance intellectuelle, l'esprit critique ne consiste pas à céder à la réaction, mais au

contraire à ne pas lui céder.

Cette maxime, croyons-nous, résume assez bien tout son enseignement. Puissent de jeunes

intellectuels, toujours plus nombreux, accomplir toujours mieux le testament du héros tombé en mai

1942 !

Georges Cogniot